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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2022-2023


DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2022-2023

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat,

(Avec l’expression de nos hommages les plus déférents) ;

Honorable Président de l’Assemblée nationale ;

Honorable Président du Sénat ;

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement ;

Monsieur le Procureur Général près la Cour constitutionnelle ;

Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation ;

Monsieur le Procureur Général près la Cour de cassation ;

Monsieur le Premier Président du Conseil d’Etat ;

Monsieur le Procureur Général près le Conseil d’Etat ;

Monsieur le Premier Président de la Haute Cour militaire ;

Monsieur l’Auditeur Général près la Haute Cour militaire ;

Madame et Messieurs les juges à la Cour constitutionnelle, chers collègues ;

Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;

Honorables Députés nationaux et Sénateurs ;

Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et Représentants des Organisations Internationales ;

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions d’Appui à la Démocratie ;

Monsieur le Chef d’état-major général des Forces Armées de la République Démocratique du Congo ;

Mesdames et Messieurs les Représentants des Confessions religieuses ;

Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;

Monsieur le Bâtonnier National ;

Monsieur le Gouverneur de la Ville de Kinshasa ;

Monsieur le Commissaire Provincial de la Police Nationale Congolaise, ville de Kinshasa ;

Monsieur le Bourgmestre de la Commune de LINGWALA ;

Mesdames et Messieurs les Avocats ;

Mesdames et Messieurs membres des cabinets des Juges à la Cour constitutionnelle ;

Mesdames et Messieurs les membres du personnel de l’ordre judiciaire ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

Qu’il nous soit permis, avant toute chose, au nom de la Cour constitutionnelle, de nous acquitter d’un agréable devoir, celui de remercier son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême, d’avoir, en dépit de ses charges d’Etat, accepté de rehausser de sa présence et ce, pour la première fois dans l’histoire de notre Pays, la cérémonie de la rentrée judiciaire de la Cour constitutionnelle ; marquant ainsi l’Histoire.

Excellence Monsieur le Président de la République, votre présence en ce lieu, témoigne de l’importance que vous attachez à la refondation de l’Etat de droit congolais et à l’instauration d’une justice rencontrant les aspirations conformes du peuple.

Notre reconnaissance s’adresse également aux animateurs des autres institutions publiques et aux membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Enfin, à vous tous, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs, trouvez dans nos mots la marque de gratitude pour avoir abandonné vos multiples charges, afin d’assister à cette audience solennelle.

L’obligation qui nous incombe, de prononcer un discours lors d’une audience solennelle, au cours de laquelle un thème lié aux activités de cette juridiction est développé, trouve son fondement en droit congolais à l’article 100 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle.

C’est pour cela que nous avons pris rendez-vous dans ce cadre, qui est le symbole de la démocratie et de la souveraineté du peuple, pour respecter cette tradition d’honneur et faire rayonner son prestige avant de commencer l’année judiciaire 2022-2023.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat Suprême, avec l’expression de mes Hommages répétés, Mesdames et Messieurs ;

Le thème que nous abordons, à l’occasion de cette audience solennelle, est intitulé : « LA CONTRIBUTION DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A LA CONSOLIDATION DU CONSTITUTIONNALISME EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO ».

Avant de procéder plus avants, il y a lieu de relever le fait que conformément à l'article 149 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est une juridiction au même titre que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. Mais par rapport aux autres juridictions congolaises, elle est à la fois vieille et jeune.

Elle est vieille parce que l'idée de sa création remonte aux travaux de la table ronde. La loi fondamentale, les Constitutions de 1964 et de 1967 l'ont prévue. Elle va disparaître lors de la révision du 15 aout 1974 pour réapparaître à la faveur de la Constitution du 18 février 2006. Elle est aussi jeune parce qu'il faudra attendre le 4 avril 2015 pour assister à son installation.

En raison du rôle qu'elle joue dans la stabilisation de la démocratie constitutionnelle et le renforcement de l'Etat, mais aussi de sa jeunesse, la Cour constitutionnelle mérite d'être mieux connue des congolais, gouvernants et gouvernés.

Les gouvernants devraient connaître sa jurisprudence qui a le mérite de préciser les limites de leurs prérogatives respectives. Les gouvernés aussi parce qu'ils seront édifiés sur leurs droits et les valeurs.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat Suprême, avec l’expression de mes Hommages répétés, Mesdames et Messieurs ;

Difficile à définir tant dans son étymologie que dans la terminologie juridique et politique, le terme constitutionnalisme fait souvent allusion à quelques standards visant la concrétisation d’un idéal libéral sous-tendant la limitation de tout pouvoir à travers des principes permanents de gouvernement et une rationalisation des phénomènes politiques par le droit. Il tire sa raison d’être et sa légitimité de l’idée de modérer l’omnipotence d’un pouvoir d’État versant vers l’autoritarisme politique.

Le constitutionnalisme est un courant de pensée juridique qui se manifeste par la volonté d’organiser l’exercice du pouvoir politique de l’Etat par une norme juridique qualifiée de Constitution, ou par des règles de droit de valeur dite « constitutionnelle ».

Issu du rationalisme et du libéralisme juridique du 18ème siècle, il s’est affirmé autour de quelques principes fondamentaux qui inspirent depuis le 18ème siècle la Construction juridique des Etats démocratiques modernes, dans le but d’assurer la « liberté politique » qui doit advenir de la juste articulation des principes d’autorité et de liberté qu’ils sont chargés de réaliser.

Ainsi, la souveraineté de la nation, la séparation des pouvoir, et la garantie des droits et libertés, sont les trois principes cardinaux de ce constitutionnalisme moderne, à l’instar de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoir déterminée, n’a point de Constitution ».

La justice constitutionnelle est caractérisée dans le cadre de contrôle de constitutionnalité par deux variantes, à savoir le modèle américain ou diffus et le modèle européen ou concentré auquel le constituant congolais a souscrit, lequel fait du seul juge constitutionnel censeur de la loi, protecteur des droits fondamentaux des citoyens et élément déterminant de la constitutionnalisation.

Il s’agit en effet de la caractéristique fondamentale du modèle KELSENIEN, c’est-à-dire l’existence d’un juge constitutionnel spécialisé ayant un monopole dans l’appréciation de la constitutionnalité des lois.

Le système concentré trouve sa justification par le fait que le contrôle de constitutionnalité ne pouvait être confié à l’ensemble des juges ordinaires, comme aux Etats-Unis d’Amérique, du fait de l’absence des règles du « précédent » dans les systèmes romano-germaniques, susceptible de multiplier les risques de contrariétés de jurisprudence et d’empêcher de parvenir à une interprétation constitutionnelle commune à l’ensemble de juridictions.

L’idée d’une justice constitutionnelle est liée au développement du constitutionnalisme, qui tient à soumettre le fonctionnement des pouvoirs publics à l’ensemble des règles établies, en tant que celles-ci ont une force juridique supérieure et dont le respect s’impose à tous. Elle forme, pour emprunter les mots de TOCQUEVILLE, « une des plus puissantes barrières qu'on ait jamais élevées contre la tyrannie des assemblées politiques ». 

La République Démocratique du Congo n’est pas à sa première expérience du modèle concentré de la justice constitutionnelle. Elle s’est inscrite, dès son accession à l’indépendance, dans la droite ligne de ce système, en attribuant l’exclusivité du contrôle de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle instituée par la Loi fondamentale.

Les Constitutions postérieures ont maintenu cette tradition, avant de confier cette charge, après la révision constitutionnelle du 15 août 1974, à la Cour Suprême de Justice, qui l’exerçait à coté de ses autres compétences judiciaires et administratives, avant que cette compétence revienne à la Cour constitutionnelle instituée par la Constitution du 18 février 2006.

Etant au service du constitutionnalisme, la Cour constitutionnelle doit assurer la garantie des droits fondamentaux, la limitation des pouvoirs dans l’Etat, et la rationalisation des phénomènes politiques.

C’est ici l’occasion de faire constater que la Cour constitutionnelle congolaise a su, à travers sa jurisprudence, imprimer l’image d’une juridiction à même d’enraciner les principes et les valeurs constitutionnels prônés dans la pensée libérale en vue de la consolidation et de la promotion du constitutionnalisme en République Démocratique du Congo.

Et pour sa bonne compréhension, notre réflexion s’articulera sur trois principaux axes à savoir : la consolidation du constitutionnalisme à travers les droits fondamentaux, la consolidation du constitutionnalisme à travers la sanction des atteintes à la séparation des pouvoirs et le constitutionnalisme au service de la rationalisation des phénomènes politiques.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat Suprême,

Tout comme l’Etat de Droit, le constitutionnalisme repose sur trois piliers postulant un encadrement juridique du pouvoir par la loi fondamentale « Constitution », le contrôle de ce pouvoir par la justice constitutionnelle et la division horizontale et verticale du pouvoir.

L’existence de la Constitution, fondement de l’Etat, socle ou roc sur lequel est structuré juridiquement le pouvoir politique de l’Etat, présuppose la possibilité de sa violation, laquelle est conçue comme un comportement anti-normatif. 

En matière de protection des droits de l’homme, la Constitution doit être interprétée de façon extensive. Nous pouvons ainsi constater, par exemple, que la Cour Suprême des Etats Unis a développé en particulier la théorie de la primauté des droits de la personne, les droits économiques étant relégués à l’arrière-plan.

Dans la jurisprudence des Cours constitutionnelles modernes, l’interprétation extensive est principalement fondée sur les dispositions très générales qui se trouvent au début des textes constitutionnels et qui expriment la philosophie générale des droits de l’homme qui est à la base de toutes les autres dispositions.

Sur base de ce principe, le juge constitutionnel, notamment congolais, considère que la Constitution a entendu établir un système complet de protection des droits de l’homme. Il s’estime tenu de corriger les éventuelles imperfections du texte constitutionnel, le constituant étant présumé avoir voulu protéger les droits essentiels de la personne humaine.

En droit congolais, la Cour constitutionnelle n’hésite pas à sanctionner ceux des actes, aussi bien du pouvoir exécutif que du pouvoir législatif qui portent atteinte aux droits fondamentaux et, par ricochet, à la Constitution elle-même.

Ces droits incluent notamment les droits de la défense, l’égale protection devant la loi et la responsabilité pénale individuelle. Ces droits doivent être protégés même durant les circonstances exceptionnelles.

C’est le sens de l’article 61 de la Constitution qui veut qu’en aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux bien décrits.

Et c’est au nom du pragmatisme que la jurisprudence constitutionnelle de la République Démocratique du Congo l’a relevé la sauvegarde des droits de la défense comme principe fondamental dans le contexte de responsabilité politique.

Ainsi, trois temps forts marquent la protection des droits de la défense chaque fois qu’une décision politique prend l’allure d’une sanction.

Le premier temps que nous pouvons qualifier de phase d’éclosion de la protection des droits de la défense par la Cour constitutionnelle est relatif à la responsabilité politique des animateurs des institutions provinciales.

Il s’agit, en effet, des arrêts qui reconnaissent, pour la première fois, la violation des droits de la défense pour censurer les actes des assemblées délibérantes, qualifiés des actes législatifs.

Dans cette phase, pour la jurisprudence, les droits de la défense renvoient à   l’ensemble des droits appartenant à une personne, qui se trouve partie à un litige ou en dehors de tout procès, qui est l’objet d’une mesure défavorable ayant le caractère d’une sanction prise en considération de sa personne.

Le deuxième temps, considéré comme la phase de la maturation de la protection des droits de la défense dans le contentieux politique, fait suite au revirement jurisprudentiel opéré par la Cour constitutionnelle, qui ne justifie plus sa compétence à censurer les actes d’assemblée sur fondement de l’article 162, alinéa 2 de la Constitution en les qualifiant d’actes législatifs.

Elle se fonde dorénavant sur l’idéal de l’Etat de droit proclamé à l’article 1er de la Constitution et de son rôle de garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens, en sa qualité d’institution du pouvoir judiciaire, conformément aux articles 149, alinéa 2 et 150, alinéa 1er du même texte, pour asseoir sa compétence, notamment dans l’hypothèse où les actes d’assemblée violeraient les droits auxquels la Constitution attache une protection particulière comme les droits de la défense et de recours.

Elle s’est donc dotée, comme elle le dit elle-même, d’une compétence résiduelle pour examiner les actes d’assemblée ;

La troisième phase est marquée par la consolidation de la protection des droits de la défense contre les actes délibérants des chambres législatives.

La Cour affirme que les droits de la défense comportent essentiellement trois composantes indissociables :

D’abord, le droit pour la personne mise en cause d’être dûment informée qu'une procédure pouvant aboutir à une sanction est engagée contre elle et de recevoir communication des griefs mis à sa charge ;

Ensuite, le droit de disposer d’un laps de temps nécessaire pour préparer sa défense ;

Enfin, le droit d’être mis dans les dispositions de présenter effectivement sa défense. Cela implique l’obligation pour l’organe de contrôle et de sanction d’informer l’intéressé sur ses charges dans un délai raisonnable, c’est-à-dire ni trop tôt, ni trop tard-avant toute sanction, de le mettre en mesure d’organiser sa défense et de la présenter utilement.

Le droit à une égale protection des lois impose, en effet, que les hommes soient traités de la même façon, qu’ils disposent des mêmes droits et soient soumis aux mêmes devoirs et que personne ne soit victime d’une application discriminatoire d’une disposition de la Constitution ou de la loi.

Sur cette question, par son arrêt sous R.Const.1256, la Cour constitutionnelle  a eu à déclarer inconstitutionnel un acte d’assemblée qui portait atteinte au principe de l’égale protection des lois au requérant qui n’avait pas bénéficié d’un droit prescrit par l’article 146 de la Constitution.

En l’espèce, la Cour a voulu démontrer que les 48 heures prévues à l’article 146, alinéa 3 de la Constitution avant le débat et le vote d’une motion de censure et ou de défiance, l’est pour garantir la protection des titulaires des mandats gouvernementaux mis en cause.

L’affirmation de la responsabilité individuelle principe tiré du droit pénal qui veut que l’infraction soit imputable uniquement à son auteur et qu’il ne peut être prononcé de peine pour une infraction commise par autrui, la Cour constitutionnelle l’a transposé en droit constitutionnel afin de protéger un gouvernement provincial pour faute commise par le gouvernement précédent.

En effet,  saisie en inconstitutionnalité du procès-verbal n° 003 du 21 avril 2021 de la Plénière de l’Assemblée provinciale du Kasaï portant adoption de la motion de censure contre le gouvernement provincial du Kasaï et la résolution n° 003/2021 du 22 avril 2O21 de la même Assemblée provinciale portant déchéance dudit gouvernement, la Cour constitutionnelle a déclaré fondée l’action en inconstitutionnalité en se fondant sur des moyens qu’elle a soulevés d’office après avoir rejeté toutes les allégations du requérant.

En l’espèce, la Cour a arrêté qu’elle ne pouvait déclarer régulière une motion de censure initiée contre le gouvernement PIEME I mais adoptée sous le gouvernement PIEME II, car violant l’article 17, alinéa 8 qui veut que la responsabilité pénale soit individuelle et que nul ne puisse être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui.

Et l’article 14 point g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit d’une personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable en considérant le fait que certains membres du gouvernement PIEME II étaient signataires de la motion contre le gouvernement PIEME I avant qu’ils y soient nommés après son remaniement.

Ainsi, la motion qui devait être adoptée contre le gouvernement PIEME I l’a été en leur défaveur, tournant ainsi leurs signatures contre eux-mêmes.

La Cour constitutionnelle de la RDC offre une protection procédurale et substantielle à l’Etat de droit, et assure par ce fait sa mission d'outil de mesure démocratique. C'est l’idée même du gouvernement de la Constitution, sans glisser dans celui des juges. 

La Cour affirme dans ses arrêts R.Const.1233 et R.Const.1257, la nature administrative et réglementaire des ordonnances prises en proclamation et en mise en œuvre des régimes spéciaux de crise.

La particularité des ordonnances de nomination en période des circonstances exceptionnelles, contrairement à la théorie classique sur la justiciabilité des actes administratifs de portée individuelle, est qu'elles sont assujetties, au même titre que les ordonnances règlementaires exceptionnelles, au contrôle de constitutionnalité a posteriori obligatoire, sur le fondement de l'article 145 de la Constitution.

L'arrêt R.Const. 1571 en est une parfaite illustration dans la mesure où il porte sur une ordonnance de nomination des gouverneurs, des maires, des bourgmestres et des chefs des territoires militaires.

Ceci témoigne de la volonté du constituant de maitriser, par l'action de la Cour, l'usage et le déploiement général des pouvoirs exceptionnels, faisant ainsi sortir les actes administratifs individuels exceptionnels du giron de la justice administrative pour les inscrire sous la vigilance de la gardienne ultime de la Constitution.

De la sorte, la plénitude temporaire des pouvoirs du Président de la République s'opère sous le double contrôle permanent du Parlement et de la Cour constitutionnelle, celle-ci étant l'acteur majeur du degré de conciliation nécessaire entre l'impératif de l'Etat de droit et les exigences multiples de la vie nationale, sans se substituer au pouvoir exécutif disposant d'une vue générale et transversale des politiques publiques nationales ainsi que des contraintes multiples particulières y rattachées.

C'est dans ce cadre que s'inscrivent les mesures nécessaires du Président de la République prises sur fond de ses conclusions éclairées par les consultations des autorités constitutionnelles qualifiées ainsi que les discussions obligatoires en Conseil des ministres.

Ces mesures nécessaires sont d'application immédiate dans la mesure où elles jouissent de la présomption réfragable de constitutionnalité, sous réserve de leur validation juridictionnelle définitive par la Cour constitutionnelle.

Le contrôle de la Cour apparaît alors comme une exigence nécessaire au fonctionnement et au maintien du système démocratique.

Dans une démarche de concrétisation des droits fondamentaux, la Cour s'est engagée à remplir, outre sa mission de justice constitutionnelle, celle de justice individuelle en protégeant les citoyens contre des violations verticales et horizontales des droits.

Le droit à la santé a été affirmé et protégé par la Cour dans son arrêt R.Const.1200 du 13 avril 2020, autant que l'obligation du port des masques a été validée en tant que moyen nécessaire pour la protection de la santé publique.

Il s'agit en l'espèce, d'un maniement subtil du test de proportionnalité suivant le triptyque: restriction prévue par la loi, poursuivant un but légitime et réalisée par des moyens nécessaires ou efficaces dans une société démocratique.

De même, la Cour constitutionnelle se rassure que tous les actes des gouvernants, qui relèvent de sa compétence, soient censurés afin d’assurer la primauté de la Constitution.

Il en a été le cas des actes instituant les mesures d’urgence pour faire face aux circonstances exceptionnelle. 

La Cour a admis la possibilité légale de suspension de l'exercice de certains droits, comme voie alternative de garantie de l'effectivité d'autres droits, tout en faisant de l'article 61 de la Constitution, énumérant les droits et principes indélogeables quelles qu'en soient les circonstances, la norme de référence absolue en période des circonstances exceptionnelles.

Ce qui lui fait dire sous R. Const.1571: « Quoique ce système entraîne la réduction des libertés publiques, il ne peut supprimer toute garantie constitutionnelle et légale, en l'occurrence le noyau dur ou le noyau irréductible et incompressible des droits fondamentaux, constitué en droit congolais de l'agrégat des droits et libertés consacrés par l'article 61 de la Constitution ».

Dans la cause sous R.Const.1756, la Cour était saisi en interprétation de l’article 21 de la Constitution face au conflit des lois résultant des dispositions de l’article 27 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée et complétée à ce jour et l’article 86 de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif.

D’après l’interprétation de la Cour, la Constitution laisse à la loi la fixation des conditions d'exercice proprement dites dudit recours notamment les délais, les formes et les titulaires.

Ainsi, en vertu de l’article 21 alinéa 2 de la Constitution, le droit de recours ne peut être effectivement exercé que lorsqu’il est prévu par la loi et dans les formes qu’elle prescrit.

Sous ce rapport, la Cour considère que la restriction du droit de recours par l’article 27 de la loi électorale rentre bien dans l’esprit de l’article 21 alinéa 2 de la Constitution et ce pour la raison évidente de célérité des délais du processus électoral dont le non-respect pourrait entrainer des tensions et entamer l’ordre public.

La Cour a même affirmé que la question des élections met en jeu la paix sociale et la stabilité des institutions, composantes majeures de l’ordre public, deux objectifs à valeur constitutionnelle dont la Cour constitutionnelle tient compte dans l’interprétation qu’elle fait de la Constitution.

La Cour constitutionnelle, quoique faisant une analyse d’un droit objectif, à savoir la sauvegarde des valeurs et principes constitutionnels, repousse un intérêt subjectif que le requérant voulait obtenir au travers la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il attendait de la Cour constitutionnelle.

Il en a été le cas dans l’affaire sous R.Const.1639 par laquelle le requérant sollicitait l’inconstitutionnalité  de la décision n°006/CAB/PDT/SENAT/MBL/HFM/EBD/2021 du 05 juillet 2021  portant autorisation des poursuites à son encontre et levée de ses immunités parlementaires.

Il sied de rappeler que ladite requête avait pour motif, violation de l’article 19 alinéa 3 de la Constitution qui protège les droits de la défense. La Cour a déclaré une telle requête non fondée par une démonstration qui mettait en évidence le fait qu’il était déjà accordé au requérant un rendez-vous par lequel il avait présenté ses moyens de défense et qu’il ne lui appartenait plus de juger de l’opportunité ou non, d’accorder un report à un requérant qui avait déjà bénéficié d’un premier report et qui s’était déjà défendu au deuxième rendez-vous.

De même par des arrêts successifs, examinant l’inconstitutionnalité des actes d’assemblées pour violation du droit de la défense, la Cour est arrivée à la conclusion que les raisons invoquées par les requérants ne pouvaient pas justifier leurs absences à des plénières où ils étaient régulièrement convoqués dans les délais acceptables.

Pour renforcer son argumentaire, elle a affirmé ce qui suit : « … la personne qui est censée répondre des faits portés à sa charge et qui, sans raison valable, ne se présente pas à son procès, renonce implicitement à l’exercice de son droit constitutionnel d’y assister et d’y présenter ses moyens de défense. 

L’argument du droit de la défense, proclamé à l’article 19 alinéa 3 de la Constitution, développé par le requérant, dans le seul but de tergiverser ou d’empêcher l’action parlementaire est donc de nature à violer les prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale reconnues à l’Assemblée provinciale ».

C’est ainsi que saisi en interprétation de l’article 101 alinéa 5 de la Constitution, la Cour a rappelé qu’au-delà de sa clarté apparente, cette disposition constitutionnelle est le socle de la démocratie représentative prévue déjà à l’article 5 de la même Constitution.

Se fondant sur les articles 5 et 6 de la Constitution, elle a noté « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants, qui l’exerce par ses représentant …

Dès lors, la notion du mandat impératif qui nait dans ce cadre de la théorie de la souveraineté populaire est interdite… le représentant peut agir en tous domaines à sa guise au gré des intérêts non pas du parti politique, mais plutôt de sa nation, sans être obligé… l’élu reste maître de ses opinions dans l’Assemblée et de ses appartenances politiques ».

En République démocratique du Congo, la Constitution du 18 février 2006, affirme clairement le principe de la séparation des pouvoirs.

La Cour Suprême de Justice, faisant office de Cour constitutionnelle, a relevé que « conformément au principe de la séparation des pouvoirs consacré par l’article 151 de la Constitution, le Parlement n’a ni la compétence ni le pouvoir de rechercher la suite à réserver aux arrêts de la Cour suprême de justice, ni de réexaminer des appréciations confiées aux cours et tribunaux sans porter atteinte à l’autorité et à l’indépendance de la justice.

Cette disposition constitutionnelle ne donne pas lieu à la recherche de suite à réserver aux arrêts de la Cour. Bien au contraire, elle oblige le Parlement à exécuter les décisions de justice ».

Lors de l’examen de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Conseil National de Suivi de l’Accord et du processus électoral, CNSA en sigle, la Cour a censuré les dispositions portant atteinte aux attributions de la CENI. 

Examinant le point sur les compétences du CNSA, la Cour a relevé : «  se concerter avec le Gouvernement et la CENI afin d’harmoniser les vues quant à la réussite du processus électoral… la Cour observe que, en l’espèce, prises dans ce sens, ces locutions permettrait au Gouvernement et au CNSA d’influencer positivement ou négativement une décision de la CENI… si bien que les décisions de la CENI deviendraient interinstitutionnelle alors qu’elle devraient se prendre en toute indépendance selon les prescrits de l’article 211 de la Constitution ».

Dans un de ses arrêts, la Cour a tenu a insisté d’une part, sur le fait que les établissements publics ont une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat et que celui-ci ne devrait pas empiéter sur les attributions de celui-là.

Sur ce point elle a jugé : « La Cour juge, en effet, qu’en ce qu’il prévoit que « le rapport annuel de la CNP est validé par le Gouvernement et présenté, à chaque Chambre du Parlement par le Premier Ministre, l’article 4 in fine de la Loi-organique viole l’article 181 alinéa 1 in fine de la Constitution, lequel fait de la CNP un organisme public doté de la personnalité juridique.

Elle opine qu’en tant que personne morale de droit public, la CNP est appelée à agir, non point par le Premier Ministre, mais bien par ses organes propres, seuls habilités à la représenter dans le commerce juridique, y compris dans ses rapports avec les autres institutions de l’Etat».

La Cour affirmé que le Premier ministre n’incarne pas en lui-même le Gouvernement.  « La Cour observe qu’aux termes de l’article 13 alinéa 2 de la Loi- organique sous examen, les membres de la Direction Générale de la CNP « sont nommés par l’ordonnance du Président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable sur proposition du Premier Ministre, délibérée en Conseil des ministres ».

Elle juge également cette disposition contraire à la Constitution en ce qu’elle confère au Premier Ministre des prérogatives qu’il ne détient d’aucune disposition Constitutionnelle. La Cour observe, en effet, qu’il ne revient pas au Premier Ministre de formuler pareille proposition de nomination, mais au seul gouvernement, après délibération en Conseil de Ministres, suivant la lettre et l’esprit de l’article 81 alinéa 1 de la Constitution.

Par trois requêtes du Président de la République, la Cour a été saisie en appréciation de la conformité à la Constitution de 3 trois ordonnances, portant respectivement sur : la prorogation de l’état d’urgence, les mesures complémentaires nécessaires pour faire face à la pandémie du Covid-19 et la modification de l’ordonnance portant proclamation de l’état d’urgence.

Par un arrêt unique sous R.Const.1203/1204/1205 du 30 avril 2020, la Cour a déclaré conforme à la Constitution, toutes ces ordonnances moyennant une réserve.

La Cour avait constaté que l’article 1er de l’ordonnance n°20/026 du 19 avril 2020 modifiant et complétant l’ordonnance n°20/026 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence, autorisait l’Assemblée nationale et le Sénat à se réunir et limitait leurs ordres du jour à la seule matière de l’examen de la loi portant prorogation de l’état d’urgence.

Pour la Cour, l’article 1er dudit ordonnance devait se comprendre dans le sens des articles 115 et 144 de la Constitution.

Dans ce sens, en temps normal ou durant l’état d’urgence, l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas besoin d’une autorisation pour siéger valablement, tout comme on ne peut limiter leurs ordres du jour. Parce qu’en vertu des dispositions précitées, ces deux institutions peuvent se réunir de plein droit et disposer librement de leurs ordres du jour.

Il s’agit là d’une réserve d’interprétation qui avait sauvegardé le principe de la séparation des pouvoirs.

Dans un arrêt, la Cour relève que l'article 159 qui offre la possibilité au Gouvernement provincial, pour l'exécution urgente de son programme d'action, de demander à l'Assemblée provinciale l'autorisation de prendre par arrêté-édit, pendant un délai limité et sur des matières déterminées, des mesures qui sont normalement du domaine de l'édit, en prenant des arrêté-édits, viole l'article 197, alinéa 2 de la Constitution, qui ne reconnaît le pouvoir de légiférer qu'à l'Assemblée provinciale, ce, par voie d'édit.

Pour la Cour , se fondant sur les articles 69 alinéa 3 et 85 alinéa 1er de la Constitution, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux chambres du Parlement, le Président de la République, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions de la République, en sa qualité de garant de l'intégrité du territoire, est la seule autorité habilitée à apprécier les circonstances graves qui menacent d'une manière immédiate, l'indépendance ou l'intégrité du territoire national ou qui provoquent l'interruption du fonctionnement régulier des institutions.

Examinant la conformité à la Constitution de l’ordonnance portant prorogation de l’état d’urgence, la Cour relève qu'aux termes de l'article 145 de la Constitution, c'est par Ordonnances délibérées en Conseil des Ministres que le Président de la République prend les mesures nécessaires pour faire face à la situation d'état d'urgence ou d'état de siège proclamé.

Elle juge ainsi, en l'espèce, que cette double condition de forme est remplie, étant donné que l'ordonnance sous examen a préalablement été délibérée en Conseil des Ministres, avant sa signature par le Président de la République.

Comme les autres juridictions constitutionnelles à travers le monde, la Cour constitutionnelle congolaise est chargée de veiller au respect de la Constitution prise dans sa double dimension politique et sociale. L’examen de ces deux dimensions, chères à Maurice Hauriou, démontre comment la justice constitutionnelle a été et continue d’être une garantie efficace du constitutionnalisme, même si du chemin reste encore à parcourir.

Le contrôle des normes ne forme souvent qu’une partie de l’activité des juges constitutionnels, l’une de leurs attributions traditionnelles est l’arbitrage des conflits de compétence ou de l’équilibre fédératif, qu’il s’agisse de conflits « horizontaux » entre organes nationaux ou des conflits « verticaux » entre l’Etat et ses entités composantes.

L’exercice par les institutions de la République de leurs prérogatives constitutionnelles peut engendrer un conflit de compétence lorsque l’une quelconque des dispositions de la Constitution s’avère obscure ou ambivalente.

C’est ainsi qu’à côté du pouvoir de décision exécutoire et de l’autorité de la chose jugée, la Cour constitutionnelle a également reçu compétence d’interpréter des textes constitutionnels qui s’avèrent obscures ou ambigus.

A la base des recours en interprétation de la Constitution se trouve sans doute un conflit latent ou déclaré et celui qui l’interprète, la Cour constitutionnelle, se fait ainsi un arbitre du jeu politique.

Le modèle dominant d’un constitutionnalisme juridicisé et judiciarisé donne souvent l’impression que la juridiction constitutionnelle doit invariablement et nécessairement avoir le dernier mot en cas de conflit entre les branches de l’Etat. Mais il faut se rappeler que le système des contre poids mis en place avec la séparation des pouvoirs vise à assurer un équilibre où les branches de l’Etat se contrôlent les unes les autres sous l’empire de la Constitution.

Si le contrôle exercé par le juge constitutionnel est juridique dans son objet, il est politique dans ses effets.  Avec cette construction doctrinale de la duplicité de l'activité du juge constitutionnel, à la fois juridique et politique, il est permis de tenir légitimement un discours juridique sur la politique.

Extérieur au jeu politique, mais maîtrisant par sa compétence technique les catégories d'entendement juridique de ce jeu, le juge constitutionnel peut bien prétendre participer, de façon en apparence neutre, à la définition et à la fixation de ses règles légitimes.

La Constitution étant la règle du jeu politique, quoi de plus normal que le juge de la Constitution en soit l’arbitre afin de stabiliser le jeu et de sanctionner les comportements déviants et d’empêcher les transformations furtives de la règle de droit.

C’est dans cette perspective que le constituant attribue au juge constitutionnel la compétence de vérifier la constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées délibérantes.

HAMON et TROPER nous font savoir que la soumission de pareils actes à la censure du juge constitutionnel est due à l’expérience française de la 3ème et de la 4ème République qui avait montré que, par le biais de son règlement, une assemblée parlementaire pouvait parfois s’octroyer des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés. Ainsi, pour éviter une telle dérive qui peut rompre l’équilibre des pouvoirs, ces règlements des assemblées sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise en application, au juge constitutionnel. 

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle congolaise est éloquente quant à ce. En effet, cette dernière est très attentive lors du contrôle de constitutionnalité des règlements intérieurs des chambres parlementaires, afin de maintenir l’équilibre en tant qu’arbitre, entre les trois pouvoirs de l’Etat.

La Cour Suprême de Justice, faisant office de la Cour constitutionnelle, sous R. Const. 061/TSR, contrôlant la constitutionnalité du règlement intérieur du congrès, n’a pas hésité à relever l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à la procédure de la proclamation de l’état d’urgence ou de siège, à la déclaration de guerre ainsi qu’à la procédure de poursuite et de la mise en accusation du Président de la République et du Premier Ministre.

On peut ainsi se rendre compte, au travers de cet arrêt, que la Cour Suprême de justice, faisant office de la Cour constitutionnelle, a empêché le Congrès de s’octroyer, par le biais de son règlement intérieur, des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés.

Dans le cadre de ses fonctions d’arbitrage, la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à déterminer les limites de la compétence du législateur dans les matières où la Constitution précise que ce dernier ne peut que poser les principes fondamentaux.

Saisie sous R.Const.0091/309/TSR en interprétation de l’article 123 point 5 de la Constitution, la Cour a arrêté que cette disposition établit un domaine de collaboration entre le pouvoir réglementaire et législateur, qui ne peut intervenir en la matière, qu’en posant les normes de portée générale et ne pouvant aller au-delà, en édictant des règles détaillées, ce qui relève de la compétence du pouvoir réglementaire.

Il transparait de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que cette dernière se positionne en rempart contre l’arbitraire dans la violation de la Constitution et pour protéger les intérêts publics majeurs.

Il s’agit là de ce que d’aucun pourrait considérer d’un passage éclair dans le monde politique lorsque le juge constitutionnel s’accorde dans l’encadrement des activités et actes politiques ce, dans le seul souci de veiller à la primauté de la Constitution et au fonctionnement régulier des institutions politiques.

Dans son arrêt sous Rconst.1171 du 29 mai 2020, la Cour était saisie par le Président de l’Assemblée provinciale du Kongo central en l’interprétation de l’article 147 alinéa 2 de la Constitution.

En effet, d’après le Président de cette institution deux interprétations s’opposaient. Pour les uns, en cas de motion de défiance contre un gouverneur, ce dernier a le droit de continuer à exercer ses fonctions jusqu’à ce que sa démission soit acceptée par le Président de la République.

Pour les autres, en cas de vote d’une motion de défiance contre un gouverneur, ce dernier dépose sa démission et cesse immédiatement d’exercer ses fonctions.

La Cour a décidé que de par la volonté de l’article 147 alinéa de la Constitution, en cas de motion de motion de défiance contre un Gouverneur, ce dernier s’interdit de poser les actes en rapport avec ses fonctions et dépose immédiatement sa démission au Président de la République.

La régulation est qualifiée notamment de « lubrifiant institutionnel ». Elle permet au juge constitutionnel d’intervenir dans le fonctionnement des institutions en lui enjoignant tel ou tel autre comportement afin de faire échec à une situation de paralysie imminente ou réelle.

Il s’agit donc d’une compétence qui s’est imposée au juge constitutionnel qui se voit dorénavant obligé, dans certains cas, de n’apprécier la juridicité d’une norme qu’au regard des équilibres aménagés entre pouvoir et la balance à établir entre droits et intérêts légitimes.

C’est dans cette perspective que la Cour constitutionnelle congolaise s’est attribuée une compétence implicite qui découle du pouvoir de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, à l’instar du Conseil constitutionnel français qui s’était auto désigné « organe régulateur des pouvoirs publics ».

Et c’est aussi dans ce sens que par les arrêts R. Const.099/TSR du 06 septembre 2007 ; R.Const.0089 du 08 septembre 2015 et R.Const.338 du 17 octobre 2016, la Cour constitutionnelle de la RDC a affirmé une compétence implicite, découlant du pouvoir de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.

Par son arrêt sous R.Const.1640 du 08 octobre 2021, saisi aux fins d’interprétation des articles 211 de la Constitution, 12 et 53 bis de la Loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010, telle que modifiée et complétée à ce jour, portant organisation et fonctionnement de la Commission Electorale Nationale Indépendante, l’Assemblée Nationale sollicite de la Cour de le relever de la déchéance encourue du fait de la force majeure empêchant l’observance du délai prescrit à l’article 53, bis  de la Loi organique précitée.

Dans cette cause, usant de son pouvoir de régulateur de l’activité des pouvoirs publics et de la garantie de l’équilibre du système démocratique, la Cour a affirmé que ces délais constituent une prescription indicative de procédure dont le respect s’impose dans les conditions normales contextuelles pour chaque cas et que le dépassement probable ne saurait affecter la régularité du processus de désignation des membres de la CENI en cours.

Il existe des valeurs prônées par la Constitution, bien que certaines soient non prescriptives. Il s’agit donc des valeurs fondamentales d’une société », comme « la dignité humaine, le principe de la liberté de l’individu, l’État de droit, la démocratie, l’État social ainsi que le principe de l’État ouvert comme valeurs suprêmes ».

Face à ces valeurs, le juge s’estime tenu, dans son œuvre, de découvrir les valeurs sous-jacentes d’une société libre et démocratique qu’elle véhicule et dont il a la charge de faire marcher.

A travers la jurisprudence de la Cour constitutionnelle congolaise, il peut être ressorti plusieurs arrêts dans lesquels cette dernière fait recours entre autres à la méthode axiologique.

Tel est le cas lorsqu’elle se déclare compétente pour contrôler les actes d’assemblée, notamment des motions de censure et ou de défiance ainsi que des résolutions des membres des bureaux des assemblées délibérantes en se fondant sur les valeurs constitutionnelles de l’Etat de droit et sur les droits fondamentaux dont ceux de la défense, lorsqu’ils sont violés par cette catégorie d’acte.

C’est ainsi qu’elle s’est déclarée compétente, dans l’arrêt sous R.Const.1800 du 22 juillet 2022, pour contrôler et censurer les arrêts du Conseil d’Etat, qui portaient atteinte aux valeurs constitutionnelles.

En effet, prenant en compte les faits soumis à son appréciation mettant en évidence une dérive méconnaissant la valeur de la souveraineté du peuple et de surcroit de l’Etat de droit par le Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle a donc estimé que tout organe tirant sa compétence du droit et de ce fait, ses actes doivent être contrôlés afin de garantir le respect par eux de la loi a fortiori de la Constitution, particulièrement lorsque ses décisions ont des effets déconsolidants de la démocratie et déconstructeurs de l’Etat de droit.

Par cette position, la Cour constitutionnelle étend le champ de sa compétence aux actes juridictionnels, uniquement en ce qu’ils mettent en péril les valeurs fondamentales de la Constitution.

Son objectif est clair, c’est-à-dire protéger les valeurs constitutionnelles que sont la démocratie pluraliste et l’Etat de droit, proclamés avec emphase par les articles 1er, 5 alinéa 2, 12 et 150 alinéa 2 de la Constitution.

Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a tenu à préciser ce qui suit : «  le fait que cette compétence ne soit pas explicitement prévue par la Constitution ne laisse aucunement carte blanche aux juridictions de franchir le Rubicon de l’inconstitutionnalité… se fondant sur la combinaison des articles premier et 168 de la Constitution qui, pour le premier, consacre la primauté du droit en proclamant la République Démocratique du Congo un Etat de droit et, pour le second, reconnaît la suprématie des décisions de la Cour constitutionnelle à l’égard de toutes les institutions, en ce compris celles juridictionnelles, la Cour se déclarera compétente pour examiner les décisions lui déférées, dès lors qu’elles  ne sont susceptibles d’aucun autre recours ».

Elle a ainsi rappelé  qu’elle était  investie de la mission essentielle de protéger la Constitution contre les excès de pouvoir car elle en est le censeur suprême, le dernier rempart, aussi un instrument de pacification et de stabilité de la vie sociopolitique du pays par la résolution des conflits en assurant l’équilibre entre les pouvoirs de l’Etat, en imposant  le respect des principes constitutionnels dont la démocratie pluraliste, inséparable du respect et de la sécurisation juridique des droits fondamentaux.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat;

Honorable Président de l’Assemblée nationale ;

Honorable Président du Sénat ;

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement ;

Monsieur le Procureur Général près la Cour constitutionnelle ;

Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation ;

Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation ;

Monsieur le Premier Président du Conseil d’Etat ;

Monsieur le Procureur Général près le Conseil d’Etat ;

Monsieur le Premier Président de la Haute Cour militaire ;

Monsieur l’Auditeur général près la Haute Cour militaire ;

Madame et Messieurs les juges à la Cour constitutionnelle, chers collègues ;

Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;

Honorables Députés nationaux et Sénateurs ;

Mesdames et Messieurs membres du Gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et les Représentants des Organisations Internationales ;

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions d’Appui à la Démocratie ;

Monsieur le Chef d’état-major général des Forces Armées de la République Démocratique du Congo ;

Mesdames et Messieurs les Représentant des Confessions religieuses ;

Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;

 Monsieur le Bâtonnier National ;

Monsieur le Gouverneur de la Ville province de Kinshasa ;

Monsieur le Commissaire Provincial de la Police Nationale Congolaise, ville de Kinshasa ;

Monsieur le Bourgmestre de la Commune de Lingwala ;

Mesdames et Messieurs les Avocats ;

Mesdames et Messieurs les membres du personnel de l’ordre judiciaire ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

En guise de conclusion, comme vous l’avez constaté au travers notre discours, le constitutionnalisme c’est avant tout l’idée d’un Etat de droit, attendu comme un Etat qui, à la fois esclave et protecteur des libertés, tire sa légitimité de son aptitude à les développer, et à s’y soumettre. Il est devenu une réalité incontournable dont la justice constitutionnelle en constitue le pilier, car l’action des gouvernants doit s’insérer dans une hiérarchie des normes, au sommet de laquelle figure la Constitution, sous l’œil vigilent du juge constitutionnel.

Pour éviter que la Constitution ne soit impunément violée par les organes de l’Etat, le Constituant de 2006 a prévu des mécanismes de contrôle, assorti de sanction pouvant aller jusqu’à l’annulation de l’acte qualifié de non conforme à la Constitution.

C’est l’occasion pour nous de rappeler le rôle crucial que veut continuer à jouer la Cour constitutionnelle dont nous avons la charge de diriger, dans l’édification de l’Etat de droit prôné par le Chef de l’Etat, Magistrat suprême, à savoir consacrer la suprématie de la Constitution, la protection et la promotion des Droits de l’Homme.

Nous profitons aussi pour rappeler tant aux décideurs qu’à l’opinion publique les termes de l’article 168 alinéa 1er de la Constitution, « les arrêts de la Cour de la Cour constitutionnelle … s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ». Dans les rares des cas où il y a eu retard dans l’exécution, le Procureur général près la Cour constitutionnelle n’a pas hésité de rappeler à l’ordre, par correspondance, l’autorité concerné pour l’exécution immédiate ou de requérir, avec instruction claire, un Officier du Ministère Public du ressort pour assurer l’exécution de la décision de la Cour. Il en a été le cas pour l’exécution de l’arrêt sous R.Const.1171 du 29 mai 2020.

Que vive la République Démocratique du Congo !

Que vive le Pouvoir judiciaire !

 Que vive la Cour Constitutionnelle !

Nous déclarons ouverte l’année judiciaire de la Cour Constitutionnelle pour l’exercice 2022-2023.

Nous vous remercions.

                                                                             Fait à Kinshasa, le 29 octobre 2022.

                                            Dieudonné KAMULETA BADIBANGA

                                         Président de la Cour constitutionnelle et 

                                   Président du Conseil Supérieur de la Magistrature

 

 

 

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2023-2024


République Démocratique du Congo

       Cour constitutionnelle16 octobre 2014

 

 

 

 

                    Le Président                                                           

 

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE

DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2023-2024

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême,

(Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;

Honorable Président de l’Assemblée nationale ;

Honorable Président du Sénat ;

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement ;

Madame et Messieurs les membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, honorés collègues ;

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social ;

Honorables Députés nationaux et Sénateurs ;

Madame et Messieurs les juges à la Cour constitutionnelle, chers collègues ;

Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;

Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et Représentants des Organisations Internationales ;

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions d’Appui à la Démocratie ;

Monsieur le Chef d’état-major général des Forces Armées de la République Démocratique du Congo ;

Monsieur le Commissaire général de la Police Nationale Congolaise ;

Mesdames et Messieurs les Représentants des Confessions religieuses ;

Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;

Monsieur le Bâtonnier National ;

Monsieur le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa

Monsieur le Gouverneur de la Ville de Kinshasa ;

Monsieur le Commissaire Provincial de la Police Nationale Congolaise, ville de Kinshasa ;

Monsieur le Bourgmestre de la Commune de LINGWALA ;

Mesdames et Messieurs les Avocats ;

Mesdames et Messieurs membres des cabinets des Juges à la Cour constitutionnelle ;

Mesdames et Messieurs les membres du personnel de l’ordre judiciaire ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

Il est de coutume qu’à la rentrée judiciaire de hautes juridictions, se tienne une audience solennelle au cours de laquelle le Président de la juridiction prononce un discours développant un thème lié aux activités de sa juridiction.

S’agissant de la Cour constitutionnelle, l’article 100 alinéa 2 de son Règlement intérieur prévoit  ce qui suit : « La rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle a lieu le premier samedi de la deuxième quinzaine du mois d’octobre de chaque année ». Nous conformant à cette disposition, nous nous sommes donné rendez-vous en ce jour, pour honorer cette tradition séculière à l’aune de l’année judiciaire 2023-2024.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat suprême, au nom de mes collègues  et au mien propre, je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude, d’avoir, en dépit de vos charges d’Etat, accepté de répondre à l’invitation de la Cour constitutionnelle.

En effet, votre présence, une fois de plus, à la rentrée judiciaire de notre institution, témoigne à suffisance de l’importance que vous attachez à l’enracinement et à l’émergence de la justice constitutionnelle dans notre pays. Pour rappel, il y a à peine quelque semaine, vous aviez honoré notre institution lors de la cérémonie de la pose de la première pierre pour la construction d’un deuxième bâtiment de notre siège. 

Excellence Monsieur le Président de la République, avec mes hommages renouvelés ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

A l’occasion de l’audience solennelle et publique de ce jour, la plénière de la Cour constitutionnelle a choisi le thème «LES INCIDENCES DES INNOVATIONS DE LA LOI N°06/006 DU 09 MARS 2006 PORTANT ORGANISATION DES ELECTIONS PRESIDENTIELLE, LEGISLATIVES, PROVINCIALES, URBAINES, MUNICIPALES ET LOCALES TELLE QUE MODIFIEE A CE JOUR SUR L’ACTIVITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL CONGOLAIS EN TANT QUE JUGE ELECTORAL ». Ce choix est validé par le souci de baliser le chemin au vu des échéances électorales de décembre 2023.

En effet, la Cour constitutionnelle vient d’examiner le contentieux des candidatures pour les élections législatives et se prépare à aborder le contentieux des candidatures pour l’élection présidentielle. Il s’agira ainsi de mettre en évidence les différentes innovations apportées par la réforme électorale de 2022 et leurs incidences sur l’activité du juge électoral, particulièrement la Cour constitutionnelle.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, (Avec les hommages les plus déférents) ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

INTRODUCTION

Après avoir identifié la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs  comme cause fondamentale des crises politiques et sécuritaires qu’a connu la République Démocratique du Congo depuis son indépendance le 30 juin 1960 jusqu’au début des années 2000, le constituant de 2006 s’est résolu de mettre en place un nouvel ordre politique, basé sur l’instauration d’un Etat de droit démocratique qui repose sur les principes fondamentaux permettant à la fois la source populaire des pouvoirs publics,  l’organisation de ces pouvoirs et la protection des droits et libertés[1]. De là, on peut parler de « la démocratie constitutionnelle »[2] congolaise parce qu’elle tend à promouvoir le pluralisme politique, à légitimer le pouvoir établi et à éviter qu’il ne soit tyrannique et despotique s’imposant par la force[3].

L’élection est pour ce faire, la voie indiquée d’accession au pouvoir et par lequel « un corps électoral confère un mandat à une ou plusieurs personnes qu’il choisit par son vote »[4]. En tant que tel, il existe les mécanismes, les procédures et les formalités de son organisation aussi bien  dans la Constitution que dans les lois[5].

Le résultat souhaité de confier le mandat à la personne choisie par le corps électoral ne peut être atteint que si au nombre des principes sur lesquels est fondée la source du pouvoir de l’Etat figure le contrôle juridictionnel de la sincérité du scrutin. A ce propos, la quasi-totalité des Etats à travers le monde[6] attribue à leurs juridictions la compétence de statuer sur le contentieux des élections.

Le contentieux électoral, au sens large, porte sur les litiges qui naissent à l’occasion de l’élection. Ces litiges peuvent apparaître tout au long du processus électoral, donnant matière à plusieurs branches du contentieux suivant l’objet et la finalité des recours[7].

En République Démocratique du Congo, l’article 5 de la Constitution au-delà de l’affirmation que tout pouvoir émane du peuple, attribue à la loi la prérogative de fixer les conditions d’organisation des élections et du référendum et l’article 161 alinéa 2 du même texte fait de la Cour constitutionnelle, juge du contentieux des élections présidentielle et législatives ainsi que du référendum dans le but de garantir la régularité et la sincérité de l’élection[8].

En effet, sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006, le législateur n’a pas arrêté de modifier successivement la loi électorale, dans le but de parfaire le processus, ce qui n’est pas sans incidence sur le travail du juge électoral, obligé à s’adapter à l’évolution intervenue laquelle peut, dans certaines mesures, l’amener à faire évoluer sa jurisprudence.

La loi électorale a subi plusieurs modifications[9] dont la dernière en date intervenue par la Loi n° 22/029 du 29 juin 2022, pour permettre une élection calme et apaisée en intégrant les différentes critiques qui ont été formulées par les parties prenantes, après les échéances électorales de 2018.

Intéressée par cette dernière réforme, la présente allocution tente de répondre à la question de savoir de quelle manière les innovations qu’elle apporte exercent une influence sur le travail de la Cour constitutionnelle, siégeant comme juge électoral, afin de rendre compte de l’évolution du droit électoral congolais.

Ainsi, selon que les contestations et leur règlement se situent en amont ou en aval du vote proprement dit[10], la jurisprudence de la Cour sera examinée en rapport avec chaque étape du processus électoral. Il s’agira en premier lieu de brosser les différentes innovations apportées par la réforme du 29 juin 2022 (I) ; viendra ensuite la question relative à leur incidence sur le traitement du contentieux des candidatures (II), il sera aussi question d’aborder quelques traits marquants de la jurisprudence de la Cour en dehors des innovations de la loi électorale(III).

 

I.               LES INNOVATIONS DE LA LOI ELECTORALE SOUS L’EMPIRE DE LA REFORME DU 29 JUIN 2022

La dernière modification de la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales est intervenue à travers la Loi n° 22/029 du 29 juin 2022. Avant de procéder à la présentation et à l’analyse des innovations introduites par cette dernière (B), il semble opportun de présenter préalablement le cadre normatif des élections politiques en droit congolais (A).

 

  1. Cadre normatif

Comme précisé dès l’entame de notre propos, la Constitution du 18 février 2006 et la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 constituent le principal support normatif des élections en droit positif congolais.  Aux côtés de deux textes juridiques précités, il y a aussi la Loi organique n°13/012 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée à ce jour, la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la loi sur la répartition des sièges par circonscription électorale dont la dernière en date est celle du 15 juin 2023, ainsi que les règlements et décisions d’application desdits textes, précisément de la loi électorale, qui en assurent l’exécution.

En effet, ces textes constituent non seulement la source par excellence du droit électoral congolais depuis 2006, mais aussi une étape décisive dans le processus conduisant à des élections régulières, libres et transparentes. Ils encadrent l’opération électorale depuis la constitution des listes électorales jusqu’au scrutin, en passant par l’enregistrement des candidatures. Comme partout ailleurs, les conditions de la propagande et le déroulement de vote y sont aussi décrits.

Les textes précités sont communs à l’ensemble des élections en République Démocratique du Congo. Cependant, les élections qui nous préoccupent sont celles dont le contentieux relève de la compétence de la Cour constitutionnelle, à savoir les élections présidentielle et législatives nationales.

Dans le but de prendre en compte les recommandations de différents acteurs afin de garantir des élections libres, démocratiques, transparentes et sincères, le législateur modifie les règles du jeu, en répondant aux différentes critiques portées contre la loi qui a précédé en vue d’améliorer le cycle suivant.

A cet effet, après le cycle électoral de 2006, la loi électorale a subi une modification juste à l’aube des élections de 2011, par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011. Après les échéances de 2011, elle a été modifiée en 2015 par la Loi n°15/001 du 12 février 2015, en perspectives des élections qui devaient normalement être organisées en 2016. Le troisième cycle électoral de 2018 sera précédé par la modification législative du 24 décembre 2017.

Cinq ans après la modification de 2017, la loi électorale a fait l’objet de la réforme qui nous intéresse au seuil du quatrième cycle électoral.

Ainsi, chaque modification de la loi électorale vient avec son lot d’innovations qui demande au juge électoral, en l’occurrence la Cour constitutionnelle, une adaptation, ce qui n’est pas sans conséquence ou sans incidence sur son activité juridictionnelle, voire sur sa jurisprudence.

  1. Innovations introduites par la loi n°22/029 du 29 juin 2022

Il nous parait utile de souligner que cette réforme législative a pour ambition de répondre adéquatement aux problèmes pratiques constatés lors du cycle électoral précédent, en mettant concrètement sur pied un système électoral crédible et mieux adapté.

A ce sujet, il ressort de l’exposé des motifs de la loi précitée les innovations ci-après :

Ø  L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60 % de sièges en compétition ;

Ø  La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes conformément à l’article 14 de la Constitution ;

Ø  La distinction des inéligibilités définitives pour condamnation par décision judiciaire irrévocable pour crimes graves tels que ceux relevant du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale de celles temporaires pour les autres infractions ;

Ø  La définition d’un régime légal exhaustif pour le vote électronique et semi électronique ;

Ø  L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’afficher les résultats bureau par bureau de vote au niveau des centres de vote et des centres locaux de compilation des résultats ;

Ø  L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier tous les résultats bureau de vote par bureau de vote sur son site internet ;

Ø  L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier la cartographie électorale trente jours avant le début de la campagne ;

Ø  L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’assurer la transmission des plis destinés aux cours et tribunaux ayant le traitement des contentieux ;

Ø  L’obligation pour les cours et tribunaux de se servir des plis contenant des procès-verbaux lors du traitement des contentieux ;

Ø  La déchéance de plein droit de la qualité de l’élu même après l’expiration du délai de contestation de candidature ;

Ø  La définition du régime juridique de l’erreur matérielle contenue dans la décision du juge électoral ;

Ø  L’interdiction de cumuler l’exercice d’une fonction au sein de la Commission électorale nationale indépendante avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ;

Ø  L’interdiction à toute autorité publique quelconque d’accéder aux bureaux des opérations électorales et d’intimer l’ordre aux électeurs, témoins et observateurs.

De cette énumération, quoique non exhaustive, seules les innovations ayant une incidence directe sur l’activité de la Cour constitutionnelle feront l’objet de notre propos, particulièrement celles relatives au contentieux des candidatures.

II.             INNOVATIONS LEGISLATIVES DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX DES CANDIDATURES

Pour ce qui concerne la phase du contentieux des candidatures, plusieurs innovations législatives ont été apportées. Il s’agit notamment des cas des inéligibilités définitives et temporaires, de la prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes électorales, conformément à l’article 14 de la Constitution, du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% de sièges en compétition et de l’interdiction de cumuler l’exercice de fonctions d’agent de la Commission électorale nationale indépendante avec une activité politique.

Cela étant précisé, abordons à présent chaque innovation retenue dans ce cadre singulièrement.

1.     Les cas des inéligibilités

La loi électorale prévoyait, avant la réforme intervenue récemment, précisément à son article 10, des cas des inéligibilités. Cependant, à la lecture de la disposition légale précitée telle que modifiée, il se distingue dorénavant des cas des inéligibilités définitives de celles appelées temporaires. Cette innovation apporte une distinction inhérente à la jouissance des droits politiques dans la perspective de la moralisation des enjeux électoraux. Elle vient donc renforcer une dimension essentielle liée à la moralité des élections.

  1. Des inéligibilités définitives

L’article 10 in fine de la loi électorale telle que modifiée à ce jour dispose : « Sont inéligibles à titre définitif, les personnes condamnées par décision judiciaire irrévocable pour crimes de guerre, crime de génocide et crimes contre l’humanité ».

Au regard de cette disposition, certaines personnes ne pourraient désormais en aucun cas être éligibles à une élection ni avoir accès aux fonctions publiques électives, à partir du moment qu’elles ont été condamnées par une décision de justice devenue irrévocable pour l’un de trois crimes, à savoir les crimes de guerre, les crimes de génocide et crimes contre l’humanité et dont l’auteur est reconnu coupable et condamné. L’inéligibilité dans ce contexte est d’origine judiciaire. 

Appelée à appliquer cette disposition, dans la cause sous RCE 0252/DN initiée sur saisine du Procureur général près la Cour constitutionnelle contre les candidatures heurtant la disposition susvisée, par son arrêt rendu le 12 septembre 2023, la Cour a constaté l’inéligibilité à titre définitif des candidats concernés et a ordonné à la CENI de les retirer respectivement des listes du parti politique et du regroupement politique qui les avaient alignés. Ainsi, sur cet aspect,  la Cour a annulé la décision de la CENI qui avait déclaré recevables ces candidatures de nos compatriotes qui avaient été condamnés par les juridictions internes et internationales pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités.

Il sied de noter que, bien que le Procureur général près la Cour constitutionnelle ne soit pas repris parmi des requérants en contestation de la liste provisoire des candidats, c’est à bon droit que la Cour a estimé que ce dernier pouvait intervenir en l’espèce dès lors que les dispositions légales d’ordre public sont mises en péril.

L’arrêt susvisé pourrait, en outre, soulever d’autres questions au vu de la modification de la loi électorale du 29 juin 2022 qui est postérieure aux faits et à la décision de condamnation. Cette situation appelle quelques éclaircissements.

En effet, le principe est que « l’inéligibilité est une sanction civile ou pénale : seule une loi entrée en vigueur au moment des faits peut l’établir ». Cet enseignement dérive de la jurisprudence du juge constitutionnel français qui considère que les faits pour lesquels l’impétrant peut être condamné  doivent avoir été commis après l’entrée en vigueur de la loi. En d’autres termes, la loi nouvelle ne rétroagit pas.

Dans le cas qui nous concerne, il faut remarquer que la réforme du 29 juin 2022 telle que disposée à l’article 10 in fine, n’est nouvelle qu’en apparence puisque depuis le 25 juin 2011, le législateur avait disposé que les personnes condamnées par un jugement irrévocable pour crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité étaient inéligibles. Bref, les personnes condamnées pour cette catégorie d’infractions étaient inéligibles à titre définitif.

 

  1. Des inéligibilités temporaires

 

La loi électorale, prévoit d’autres cas d’inéligibilité qui ne sont pas définitives. Elles sont temporaires et constituent un empêchement pour toute personne à se porter candidat à une élection politique, et ce, pour plusieurs raisons.

Elles peuvent être consécutives à la fonction qu’exerce la personne concernée. Ainsi, dès lors qu’elle n’assume plus les charges publiques qui l’empêchaient de se présenter au scrutin, elle recouvre son droit de se faire élire. C’est le cas des membres de la Commission électorale nationale indépendante et des mandataires actifs dans les établissement publics et sociétés du portefeuille.

C’est dans ce sens que la CENI avait déclaré une candidature irrecevable au motif que le candidat concerné était un agent de la CENI. Cependant, dans son arrêt sous RCE 022 du 26 août 2023, la Cour a précisé que « la disposition de l’article 10 point 9 de la loi électorale évoquée par la CENI ne s’applique pas dans le cas d’espèce, d’autant plus que cette dernière est en défaut d’apporter la preuve de l’acte d’engagement ou de la nomination de l’intéressé tel que prévu par l’article 25 litera 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI ». Dans l’entendement de cet arrêt, l’inéligibilité temporaire concernée par le cas d’espèce doit se prouver par des actes.

D’autres cas d’inéligibilité temporaire peuvent résulter de la condamnation judiciaire irrévocable du chef notamment des infractions de corruption, de détournement des deniers publics ainsi que de banqueroute.

Pour les deux premières, le législateur prévoit généralement comme peine supplémentaire aux peines principales, l'interdiction pour cinq ans au moins et dix ans au plus, après l'exécution de la peine, du droit de vote et du droit d'éligibilité .

 C’est aussi les cas des personnes frappées d’incapacité mentale médicalement prouvée au cours des cinq dernières années précédant les élections. Pour ces personnes, la décision judiciaire établissant leur incapacité doit, s’il s’avère, sur base d’une expertise médicale, qu’elles sont désormais lucides, être changée par une autre attestant leur nouvel état avant de jouir du droit à l’éligibilité ; compétence qui revient au juge civil et non au juge électoral.

En somme, l’inéligibilité temporaire cesse lorsque sa cause n’existe plus. Ainsi, la personne concernée a la possibilité de recouvrer son droit de vote et d’éligibilité.

Lors du traitement du contentieux des candidatures, le juge électoral vérifie les motifs justifiant la recevabilité ou l’irrecevabilité de la candidature contestée.

Il y a lieu de relever que seul le candidat indépendant ou le parti ou regroupement politique ayant présenté un candidat dans la circonscription électorale concernée peut contester une candidature pour cause d’inéligibilité.

A ce propos, sous  RCE 0242/DN du 31 août 2023,   la Cour constitutionnelle a déclaré irrecevable une requête sur pied de l’article 25 de la loi électorale, car le requérant n’avait pas présenté des candidats aux élections législatives dans les circonscriptions électorales dont référence dans sa requête.

On peut légitimement  se poser la question de savoir ce qu’il en serait lorsque la personne dont la candidature est contestée devant le juge de l’élection se retrouve encore en pleine instance judiciaire devant le juge pénal pour crimes de guerre ou crimes de génocide et contre l’humanité.  Le contentieux électoral étant par nature soumis au principe de célérité, il n’est donc pas concevable que le juge électoral dépasse les délais légaux pour statuer en contentieux des candidatures au risque de perturber le calendrier électoral et de retarder l’installation des nouveaux animateurs des institutions issus de l’élection.

Il est évident, dans pareil cas, que le juge pénal ne peut tenir le juge électoral en état. Ce dernier devra simplement constater qu’un candidat, sur qui il ne pèse pas encore une décision judiciaire irrévocable, bénéficie de la présomption d’innocence et valider sa candidature.

Toutefois,  lorsque la personne mise en cause est postérieurement condamnée irrévocablement pour les crimes précités, dans le cas où elle avait été élue, la loi laisse la possibilité de sa déchéance de plein droit de sa qualité d'élu, même après l'expiration du délai de contestation de candidature. 

2.     La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes conformément à l’article 14 de la Constitution

 

L’une des autres innovations de cette nouvelle loi électorale concerne la mesure incitative prise dans la (loi électorale) en vue de l’effectivité de l’article 14 de la Constitution qui institue la parité au regard homme-femme dans la participation à la gestion des affaires publiques à travers l’éligibilité des femmes.

Dans l’esprit de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cette innovation consacre une discrimination positive pour annihiler toute forme de discrimination à l’égard de la femme[26], dans le processus électoral.

Outre la Constitution, l’article 1er de la Loi n°15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité, fait obligation aux pouvoirs publics de veiller à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et d’assurer la protection et la promotion de ses droits.

Dans ce cas, ils doivent prendre dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation.

 

Le législateur a été amené à prendre les mesures appropriées pour assurer une pleine participation de la femme au processus électoral. Avant la réforme de 2022, la loi électorale, en son article 13 alinéa 2, prescrivait déjà que chaque liste de parti ou regroupement politique devrait être établie en tenant compte de la représentation de la femme[27] et de la personne vivant avec handicap.

L’objectif de l’article 14 de la Constitution n’ayant pas été atteint, l’actuelle réforme a modifié le troisième alinéa de l’article 13 de la loi électorale dans le but d’encourager les partis et regroupements politiques à aligner plus de femmes sur leurs listes et leur donner ainsi l’occasion de pouvoir participer au développement de la Nation.

Concrètement, la nouvelle disposition exempte du paiement du cautionnement, la liste électorale d’un parti ou regroupement politique qui alignerait au moins 50% de femmes dans une circonscription électorale.

Face à cette exigence légale, que doit alors être la posture du juge électoral en cas de réclamation ou de contestation d’une liste de candidature qui aligne au moins 50% des femmes dans une circonscription ?

Comme il a été relevé plus haut, lorsqu’il y a contestation ou réclamation, le juge électoral vérifie la régularité de la décision de la Commission électorale nationale indépendante au regard des exigences légales de recevabilité d’une candidature. S’il constate que la liste présentée aligne 50% des femmes au minimum, il sera tenu de s’assurer que les frais de dépôt de candidatures n’ont pas été exigés, au cas contraire, il se doit de corriger cette irrégularité en faisant prévaloir l’autorité de la loi en validant ladite liste si toutes les conditions légales sont respectées et ordonnera à la CENI de restituer les frais de cautionnement payés.

Mais il convient de signaler que le juge électoral ne peut, en aucun cas, exempter une liste des frais du dépôt sous un quelconque motif et sans preuve dès lors que 50% de candidatures féminines ne sont pas atteints.  Ce seuil est le minimum légal, et donc d’interprétation stricte.

La question de l’interprétation stricte de la disposition s’est posée lors du contentieux des candidatures devant la Cour où un regroupement politique avait contesté la décision de la CENI portant publication des listes provisoires des candidatures.

 

En effet, sous RCE 0017 du 26 août 2023 le requérant reprochait à la CENI de n’avoir pas voulu réceptionner 135 dossiers des candidatures reprenant 50% de femmes au motif qu’il n’avait pas annexé au dossier des candidatures les preuves de paiement des frais y afférents.

Cependant, la Cour constitutionnelle a relevé que le requérant n’avait pas produit d’éléments probants. Par cette réponse, la Cour a voulu rappeler qu’une telle procédure ne nécessite pas seulement d’alléguer l’alignement de 50% de femmes, mais qu’il faudrait également prouver ses allégations, car qui allègue un fait doit en apporter la preuve.

 

3.     L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% des sièges en compétition

La réforme de 2022 a institué le seuil de recevabilité des listes.

A ce sujet, l’article 22 in fine de la loi électorale dispose : « Sont également irrecevables les listes du parti ou du regroupement politique qui n’auront pas atteint 60% des sièges en compétition. Cette disposition s’applique aux élections législatives, provinciales,  municipales et locales directes».

En effet, il convient de rappeler que, à ce jour, la loi électorale comporte désormais deux seuils : Celui de représentativité, issu de la réforme de 2017, qui se situe en aval du scrutin et celui de recevabilité introduit en 2022 qui se situe en amont.

Il importe de retenir que le seuil de recevabilité des listes de candidatures est un pourcentage fixé par la loi que les partis et regroupements politiques doivent atteindre pour que leurs listes de candidatures soient recevables. Il s’applique aux élections des députés nationaux et provinciaux ainsi que celles des conseillers municipaux, communaux, locaux ou de secteur ou chefferie, c’est-à-dire des élections relatives aux assemblées délibérantes dans lesquelles les sièges sont en compétition.

Concernant l’élection des députés nationaux, rappelons que le nombre des sièges à l’Assemblée nationale est de 500. Les députés nationaux ont un mandat national car, conformément à l’article 101 de la Constitution alinéa 4, ils représentent la Nation. Au regard du principe posé par l’article 22 in fine de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour, pour que la liste d’un parti ou regroupement politique soit déclarée recevable, ce dernier doit présenter un minimum de 300 candidats.

En apparence, cette nouvelle matière peut soulever des questions liées notamment à la nature du contentieux du seuil de recevabilité, à la qualité des personnes pouvant venir en réclamation ou contestation de la décision d’irrecevabilité des listes pour non atteinte du seuil ou à l’étendue de la saisine du juge électoral.

La question du seuil de recevabilité ne constitue pas un nouveau type de contentieux ou une sous-catégorie du contentieux de candidature. Il n’est qu’une exigence supplémentaire à des conditions déjà existantes pour qu’une liste des candidatures puisse être déclarée recevable par le Bureau de réception et de traitement des candidatures.

Si le juge électoral reçoit une contestation d’une décision de la Commission électorale nationale indépendante invalidant une liste des candidatures présentée par un parti ou regroupement politique pour non atteinte du seuil de recevabilité, il appréciera, au regard des éléments et pièces en présence, le fondement de la décision de la Commission électorale nationale indépendante.

Dans ce sens, la Cour a décidé sous RCE 0034/DN du 30 août 2023 que, dès lors que le requérant a produit au dossier des récépissés de candidatures, des attestations de paiement du cautionnement, des listes journalières (listes albums) et d’autres pièces pertinentes constituant des preuves de dépôt de candidatures, mais aussi des lettres de dénonciation et des procès-verbaux de constat du refus de la part des agents de certains BRTC de réceptionner les candidatures, il y a lieu d’ordonner à la CENI de  constater que le requérant a déposé des listes de candidatures faisant un total, pour l’ensemble du territoire national, de 320 candidats, atteignant, de ce fait, le seuil  de recevabilité et de publier ces listes dans la liste définitive des candidatures.

Dans l’hypothèse où le juge constate que le seuil n’a pas été atteint, la liste des candidatures sera invalidée. De même, lorsque, en invalidant certains candidats, une liste des candidatures qui avaient atteint le seuil avant les invalidations se voit vidée de certains candidats ne permettant plus d’atteindre le seuil, cette liste sera, par voie de conséquence, déclarée irrecevable.

Dans la cause sous  RCE  0210/DN du 31 août 2023, la Cour a relevé que, si le parti au profit duquel le candidat avait déposé sa candidature, n’avait pas atteint le seuil exigé par l’article 22 alinéa 2 de la loi électorale, il n’y a pas lieu que la susdite candidature soit maintenue.

Cependant, dans l’hypothèse où le parti ou le regroupement politique n’a pas atteint le seuil de recevabilité du fait du refus de la CENI de réceptionner, sans motif valable, certaines de ses listes, un tel préjudice mérite d’être réparé. C’est dans ce sens que, sous RCE 0136/DN du 31 août 2023, la Cour a ordonné à la CENI de recevoir les dossiers de candidatures d’un regroupement politique dans des circonscriptions bien déterminées et de constater que ce regroupement a atteint le seuil de recevabilité.

La Cour a motivé sa décision comme suit : « Le fait pour le requérant d’avoir satisfait aux exigences légales et règlementaires pour les circonscriptions électorales où   il a présenté des candidatures et qu’il est prouvé à suffisance de droit que, dans certaines circonscriptions électorales, le dépôt n’a pas été admis du fait de la mauvaise foi ou de la négligence de certains agents de la CENI, il n’y a aucune raison que le requérant soit préjudicié et qu’il convient de réparer ce dommage ».

En somme, l’introduction de seuil de recevabilité participe à la rationalisation du processus électoral en cours et au renforcement de l’efficacité de la gestion dudit processus.  

4.     L’interdiction de cumuler l’exercice des fonctions d’un agent de la Commission électorale nationale indépendante avec une activité politique.

 

L’article 79 bis de la loi électorale dispose que « l’exercice d’une fonction au sein de la Commission électorale nationale indépendante, au niveau national, provincial et local est incompatible avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ». 

En effet, la locution latine « aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars » qui veut dire « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne peut être juge et partie », traduit clairement la volonté du législateur d’éviter que les agents de la Commission électorale nationale indépendante, chargés d’assurer le déroulement harmonieux des élections, se retrouvent eux aussi en compétition électorale et deviennent ainsi juge et partie, ce qui serait de nature à mettre en danger l’indépendance et l’impartialité de la centrale électorale en créant un conflit d’intérêt.

Pour rappel, une incompatibilité à la différence de l’inéligibilité n’empêche pas l’élection de celui qui possède la fonction incompatible, mais elle vise à préserver l’indépendance tant de l’élu que du fonctionnaire pour préserver les organes de gestion du processus électoral des conséquences pouvant résulter de tout conflit d’intérêt. Il était donc opportun d’interdire à tout agent de la Commission électorale nationale indépendante l’exercice d’une quelconque activité politique.

En cas de contestation de la décision du rejet de la candidature par la Commission électorale nationale indépendante, le juge électoral doit vérifier si cette preuve de la mise en disponibilité a été versée dans le dossier du candidat. A défaut, il maintiendrait la décision d’irrecevabilité de la candidature.

Que serait alors le sort de la liste électorale du regroupement ou parti politique ayant présenté un candidat se trouvant dans un cas de cumul ? Nous estimons qu’il ne concernera que celui qui a commis la faute qui demeure individuelle, s’il est attesté que le regroupement politique n’était pas au courant de cette situation, en harmonie avec la jurisprudence de la Cour qui estime qu’il n’est pas équitable que le parti ou le regroupement politique soit sanctionné pour un manquement du candidat qui ne lui est pas imputable, le concerné devant seul subir la sanction.

III.           ANALYSE DE L’EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE EN DEHORS DE LA REFORME DE LA LOI ELECTORALE

Au-delà de l’analyse des innovations introduites par la loi électorale, il s’avère d’une grande utilité, par cette occasion solennelle, de revenir sur trois questions majeures sur lesquelles la Cour a eu à déterminer sans atermoiements sa position.

A.    Application par le juge électoral de l’article 21 point 3 de la loi électorale

Le premier point de l’évolution de la jurisprudence porte sur l’application de l’article 21 point 3 de la loi électorale qui dispose, en substance, qu’une candidature est irrecevable lorsque le candidat s’est présenté en même temps dans plusieurs circonscriptions électorales pour le même scrutin.

En effet, en application de cette disposition, la CENI a eu à invalider des candidatures aux motifs que les candidats invalidés apparaissaient sur une autre liste. Mais lorsque ces candidats viennent en contestation de la décision de la CENI les invalidant, la Cour n’a pas manqué à plusieurs occasions de vérifier si toutes les conditions étaient réunies pour pouvoir invalider la candidature d’un citoyen et, par ricochet, la mise en suspension de son droit fondamental d’être élu pour l’échéance concernée.

C’est le cas notamment de l’arrêt RCE 0139/DN du 30 août 2023.

Vérifiant les pièces, la Cour constitutionnelle constata que le requérant ne savait pas qu’un autre regroupement politique l’avait aligné ailleurs comme suppléant et cela sans son accord. Devant  pareille situation, la Cour estime que, pour candidater même comme suppléant, cela exige l’intervention et l’engagement  personnel du concerné. Ainsi, le fait pour un autre regroupement politique que le sien de l’aligner dans ce sens est un acte de fraude, qui ne pourrait être imputé ni au candidat qui est titulaire ni au regroupement politique qui a présenté la candidature, leur bonne foi devant être protégée.

Dans un autre dossier, le RCE 0141/DN du 31 août 2023, la Cour a été saisie par une requête en validation d’une candidature sur la liste d’un regroupement politique.

Dans les faits, son regroupement soutient le caractère arbitraire et non fondé de la décision de la CENI invalidant le précité aux motifs que sa candidature était irrégulière alors que, au regard des pièces du dossier, le candidat invalidé, non seulement détenait le récépissé lui remis par la CENI, mais n’avait pas été alerté par cette dernière pour venir corriger cette irrégularité évoquée par elle tel que le prévoit la loi électorale.  C’est ainsi qu’elle avait saisi la Cour constitutionnelle pour contester la décision l’invalidant. 

Vérifiant les pièces même celles produites par la CENI, la Cour constata qu’il n’y en avait aucune dans le dossier attestant que le candidat invalidé était invité pour régulariser son dossier. Ce faisant, la Cour estima que les droits de la défense énoncés à l’article 61 point 5 de la Constitution supposent qu’aucune sanction ne peut être portée contre une personne sans qu’il ne lui soit accordé la possibilité de rencontrer les griefs portés à sa charge susceptibles d’entrainer une condamnation contre lui, et ce, devant toute juridiction et à l’occasion de toute procédure, notamment celle relative au droit électoral, suivant l’esprit et la lettre de l’alinéa deuxième de l’article 21.

Il s’ensuit que la Cour constitutionnelle considère le respect des droits de la défense comme une nécessité indérogeable dès lors qu’une personne est susceptible d’être sanctionnée dans une quelconque procédure tant administrative que judiciaire. C’est pourquoi la Cour a, dans cette affaire, ordonné à la CENI de déclarer recevable la candidature concernée.

B.    Le point de départ de la saisine du juge électoral en ce qui concerne le délai de traitement des dossiers.

La deuxième question majeure concerne le point de départ de la saisine de la Cour constitutionnelle contenue à l’article 27 point 2 de la loi électorale qui dispose, en substance, que les juridictions chargées de connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de candidatures disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions à compter de la date de leur saisine.

De cette disposition, contrairement aux diverses interprétations que des particuliers peuvent émettre, la Cour a  considéré que le point de départ du délai de sa saisine courait à partir de l’audience, dès l’instant où elle-même se déclare saisie.

Cette interprétation de la Cour en tant que juge électoral est de nature à préserver les intérêts des particuliers qui la saisissent dans le cadre des recours en contentieux des résultats. Elle s’inscrit ainsi dans une large perspective protectrice des droits fondamentaux d’être élu car elle permet aux concernés, de conserver leurs droits aussi longtemps que l’audience n’est pas encore fixée. C’est l’effet utile de cette approche de la Cour.

La loi électorale autorise les juridictions compétentes en matière de contentieux de résultat de rectifier les erreurs matérielles de leurs décisions. Elle précise que l’erreur matérielle n’a aucune incidence sur le dispositif, sauf en cas d’inexactitude avérée des chiffres mentionnés dans les décisions attaquées ou vices de transcription.

Cette position légale est une réponse aux difficultés que cette Cour a connues lors des contentieux électoraux qui ont résulté des élections du 30 décembre 2018, période durant laquelle la Cour constitutionnelle a reçu un afflux des recours en rectification d’erreur matérielle.

Rappelons ici que l’erreur matérielle est « une inexactitude qui se glisse dans l’exécution d’une opération, dans la rédaction d’un acte ou dans le contenu de celui-ci et, qui naturellement appelle une correction. Cette maladresse peut résulter d’une fausseté dans le calcul ou la transcription d’un montant ou une confusion dans l’enregistrement du nom ou d’un de ses éléments. Il s’agit donc d’une inadvertance générale qui ne conduit pas nécessairement à la nouvelle contestation, mais dont le juge apprécie souverainement, à partir des données plutôt évidentes qui lui permettent, le cas échéant de la redresser[37] ».

C’est dans ce sens que, dans l’arrêt de la Cour sous RCE 0258/DN du 25 septembre 2023, il a été décidé : « Ne doivent pas être considérées comme réparables par voie de rectification d’erreur matérielle notamment les erreurs d’ordre intellectuel, les appréciations inexactes d’un fait, d’une responsabilité, d’une preuve ou de tout autre élément de la cause, les erreurs d’ordre juridique (...) »

La réforme apporte deux principes majeurs sur le régime juridique d’erreur matérielle à savoir :

  • L’erreur matérielle n’a aucune incidence sur le dispositif ;
  •  L’erreur matérielle peut avoir une incidence sur le dispositif en cas d’inexactitude avérée des chiffres mentionnés dans la décision attaquée ou de vices de transcription.

Cela étant, le juge électoral devra considérer que le recours en rectification d’erreur matérielle a nettement des effets d’une voie de recours à part entière dès l’instant où le dispositif peut être revu.

 

 

CONCLUSION

Je vous ai parlé des incidences de la réforme du 29 juin 2022 sur le travail de la Cour constitutionnelle comme juge électorale. Il n’a échappé à personne que, de leur grand nombre, seules quelques-unes ont prouvé leur incidence notamment la distinction entre les inéligibilités temporaires et définitives, l’institution du seuil de recevabilité des listes, la prise en compte de la dimension genre qui ont été illustrées par de nombreux exemples à travers le contentieux des candidatures.

Cependant, fidèle à la mission générale du pouvoir judiciaire de garantir des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens exprimée à l’article 150 de la Constitution, la Cour a interprété la loi dans le sens de leur promotion et protection notamment en sanctionnant les candidatures doubles ou inéligibles par l’éviction des seuls coupables en offrant aux  partis ou regroupements politiques les ayant présentés de les remplacer utilement estimant qu’ils  n’auraient pas pu se rendre compte de leur fraude ou de leur délinquance. Mais elle n’a pas manqué non plus de sanctionner les partis ou regroupement politiques qui ont aligné des personnes sans leur consentement.

Si ces quelques innovations de moindre importance ont permis un si bon progrès, il y a des raisons d’espérer que les innovations de plus grande importance notamment les obligations faites à la CENI de publier les résultats bureau par bureau, d’assurer la transmission des plis vers les juridictions compétentes et celle faite à ces dernières de se servir  des plis contenant des procès-verbaux  lors du traitement du contentieux et de se prononcer dans le délai sous peine des sanctions nous rapprocheront encore davantage  de l’idéal légitime d’éviter les crises politiques récurrentes dont l’une  des causes fondamentales est, aux yeux du législateur, la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Que vienne ce jour !

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême (Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

Après cette présentation des innovations issues de la réforme électorale de 2022, je tiens à préciser que, durant le traitement du contentieux de candidature, la Cour constitutionnelle a abattu un travail exceptionnel dans le traitement des dossiers et a rendu ses arrêts dans le délai lui imposé par la loi électorale.

Je m’en vais vous donner les indications chiffrées des décisions rendues par la Cour en matière de contestation des candidatures cette année 2023 :

Sur les 250 dossiers enrôlés au greffe électoral, 154 requêtes ont été déclarées fondées, 30 ont été déclarées non fondées, d’un autre côté, 66 ont été déclarées irrecevables.

Il sied de relever aussi que, suite à ces arrêts, certains requérants sont revenus devant la Cour en procédure de rectification d’erreurs matérielles. Au nombre total de 13 requêtes enrôlées, toutes ont été déclarées irrecevables.

Que vive la République Démocratique du Congo !

Que vive le Pouvoir judiciaire !

 Que vive la Cour constitutionnelle !

Je déclare ouverte l’année judiciaire de la Cour Constitutionnelle pour l’exercice 2023-2024.

Je vous remercie.

                                                                                                  Fait à Kinshasa, le 21 octobre 2023.

 

Dieudonné KAMULETA BADIBANGA

Président de la Cour constitutionnelle et

                          Président du Conseil Supérieur

                                     de la Magistrature




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